La volonté de changer ?

Introduction

« Il n’y a que la volonté qui compte… ». Quel intervenant en addictologie n’a pas régulièrement entendu cette phrase ? Elle émane souvent des patients eux-mêmes, mais, plus préoccupant, cette croyance reste largement répandue chez nombre de soignants. Soit ! Mais de quoi s’agit-il au fait ? Qu’est-ce que cette volonté ? Ceux qui la citent en référence le savent-ils ? Lorsqu’elle semble manquer n’y a-t-il plus rien à faire ?

Compte tenu des connotations péjoratives attachées à la notion de volonté, les psychologues et les médecins préfèrent en général parler de motivation au changement. Cependant il me semble important de pouvoir accepter d’utiliser le vocabulaire des patients. Je me souviens d’avoir, un jour, commis l’erreur de m’obstiner à utiliser la notion de motivation dans un groupe de parole alors qu’un patient avait lancé le débat sur l’idée que seule la volonté permettait de changer un comportement. La séance m’a semblée riche, les patients se sont montrés très intéressés par la découverte de la notion de motivation au changement. Le patient qui avait introduit le débat a beaucoup contribué à l’élaboration autours de cette notion nouvelle pour eux. Cependant une fois la séance terminée il a tenu à rajouter que tout cela était très intéressant mais qu’avant tout il fallait déjà avoir la volonté de changer !

Ce qu’est la volonté

Je vais donc partir du mot communément utilisé par les patients et nos collègues non spécialistes. C’est à partir de ce mot qu’il va falloir les aider à réfléchir.

Voici ce que l’on peut lire dans une des références linguistiques françaises, Le Petit Robert : « Volonté : ce que veut quelqu’un et qui tend à se traduire par une décision effective conforme à une intention – faculté de vouloir, de se déterminer librement à agir ou à s’abstenir, en pleine connaissance de cause et après réflexion – forme de l’activité personnelle caractérisée par une représentation mentale préalable du but à atteindre ».

La volonté n’est donc pas simplement synonyme de désir. C’est vouloir, et décider d'agir. On peut vouloir sans décider (ou décider sans vouloir). Entre vouloir et décider interviennent les notions de liberté d’action, de pleine connaissance, de représentation mentale du but à atteindre.
Avant de décider d'agir il faut donc pouvoir agir.

Renforcer la volonté

Nous ne reviendrons pas sur le détail de la notion de dépendance déjà explorée. On se souvient de sa multiplicité. On se souvient aussi que par définition elle entrave la liberté de choix. Elle constitue donc une première entrave à la volonté de changer si elle n’est pas suffisamment comprise et prise en charge dans sa complexité. Nous allons donc pouvoir aider notre patient à murir sa décision par une meilleure connaissance et une meilleure compréhension de la diversité des paramètres en cause dans sa perte de liberté.

Nous pourrons l’aider également à construire sa représentation mentale du but à atteindre. Car bien évidemment changer un comportement envahissant comme l’est une addiction, entraine des bouleversements dans le mode de vie de la personne bien au-delà du seul usage ou non usage de substance. La gestion des émotions, la relation au plaisir, les relations sociales, l’occupation du temps, l’image de soi, vont en être profondément perturbées.

La consommation de drogues remplit des fonctions psychiques et sociales (voir physiques) dont le sujet a besoin pour son bien être, voire pour sa survie. Au moment où le patient désire changer son comportement addicte à cause de ses conséquences délétères, il n’est pas toujours préparé à substituer d’autres stratégies pour remplir les fonctions qu’occupait le produit. On parle d’ambivalence. Le sujet qui désire modifier sa consommation pour se protéger des effets néfastes de l’usage peut aussi souhaiter maintenir les avantages qu’il continue à tirer de cet usage.

Mais, ne nous trompons pas, l’ambivalence n’est pas un processus pathologique propre à certaines personnes fragiles. Elle est intrinsèque au choix. S’il y a choix, par définition il y a plusieurs options possibles. Chacune d’entre elles a ses avantages et ses inconvénients. Nous sommes tous régulièrement confrontés à l’ambivalence. Prenons un exemple. Nous sommes en hiver et je décide avec des amis de diner dans un restaurant dont nous apprécions l’ambiance et la décoration. Nous avons de la chance, le garçon nous propose un choix entre deux places. L’une est idéale pour profiter du lieu mais malheureusement trop près de l’entrée et je crains les courants d’air froids, l’autre nous en protégera d’avantage mais n’offre pas une disposition aussi intéressante. Je suis confronté à l’ambivalence. Je désir les avantages des deux places, je rejette les inconvénients de chacune d’entre elle. Le choix suppose forcement de renoncer à un avantage et d’accepter un des inconvénients. En général la résolution d’une telle ambivalence se fait rapidement et sans effort excessif. Cependant, certains peuvent rencontrer de réelles difficultés chaque fois qu’ils vont devoir résoudre un tel dilemme. Beaucoup de troubles psychologiques peuvent rendre cette tache ardue. Une tendance obsessionnelle excessive, un manque de confiance en soi, une trop grande intolérance à la frustration, une labilité émotionnelle, etc., sont des facteurs psychiques qui compliquent la résolution du problème.

Les conséquences du choix de maintenir ou non un comportement addictif sont infiniment plus sérieuses que celles de mon exemple. Le sujet prend plus de risques. La résolution du problème en est compliquée d’autant. D’ailleurs, l’objectif du changement est lui-même discutable et peut être un objet d’ambivalence : dois-je arrêter complètement ou tenter de contrôler ma consommation par exemple ?

Aider à la compréhension des paramètres impliqués dans la perte de liberté, aider à comprendre et à résoudre l’ambivalence quant aux décisions à prendre pour changer, aider à se représenter le résultat du changement sont donc des tâches préalables à la mise en route d’un programme de soins axé sur un changement de comportement.

Il sera en outre indispensable d’évaluer et de renforcer la confiance du sujet dans sa capacité à opérer les transformations nécessaires. L'estime de soi de ces personnes est souvent faible ou instable. Ils pensent souvent qu'ils ne seront pas capables de mener à terme un projet. Ils procrastinent devant l'engagement ou ils l'évitent carrément. Malheureusement ils ont souvent été conduits trop rapidement vers des objectifs qui n'étaient pas véritablement les leurs ou auxquels ils n'étaient pas suffisamment préparés. Ils ont donc souvent déjà connu l'échec lors de tentatives antérieures de changement et cela les a renforcés dans leur sentiment d'inefficacité personnelle.

La relation entre le sujet et son soignant est au centre du processus thérapeutique pour le changement

Je n’énumérerai pas ici les détails de la démarche motivationnelle permettant la mise en lumière et la résolution de l’ambivalence. Je renvois pour cela le lecteur à l’excellent ouvrage des Dr Rollnick et Miller, « l’Entretien Motivationnel » qui fait référence en la matière. Je voudrais juste m’arrêter sur le positionnement de l’intervenant face au patient. C’est en effet un point fondamental de la démarche motivationnelle. Il ne sera pas possible d’utiliser avec efficacité les techniques spécifiques de l’entretien motivationnel si celui qui tente de le faire n’a pas pris ses distances avec la représentation encore très courante que l’on se fait du rôle du soignant.

La terminologie utilisée en France par les médecins est très significative : le médecin prescrit des ordonnances à un patient. Prescrire, ordonnances, patient, trois mots qui disent la position d’une personne qui sait et qui décide face à une personne qui se soumet au savoir de l’autre. On dit d’ailleurs que le patient doit être observant de son traitement. Cette position passive est-elle la plus à même de favoriser le changement dans la durée ?

Les recherches en psychologie de la santé ont montré qu’au contraire une personne qui comprend sa pathologie et les traitements qui lui sont proposés, qui choisit pour elle-même, librement, les modalités de ses soins, augmente son sentiment de responsabilité et son adhésion au programme de soins. Le malade n’observe plus sa maladie et le traitement comme un spectateur extérieur au processus, il est co-metteur en scène en même temps qu’il est acteur des soins. Il partage avec le soignant la responsabilité de la réussite comme de l’échec.

On est malheureusement souvent très loin de cette position en France. L’approche classique en addictologie pose les postulats suivants :

- la personne aidée doit accepter son problème tel que le constate le soignant,

- la personne aidée a perdu la capacité de faire des choix,

- la résistance est le résultat de la non conscience de la réalité du problème ou des bénéfices tirés du problème,

- la personne aidante sait ce qui est bon pour le patient,

- donc le soignant doit convaincre et décider pour l’autre.

Aussi le soignant n’écoute plus mais détermine la nature du problème tel qu’il le conçoit, impose les objectifs selon sa représentation de ce qui est nécessaire au sujet, décide les stratégies qui lui semblent appropriées pour y parvenir. Il projette ses propres valeurs, ses propres désirs, ses propres compétences sur le malade. Pourtant rien ne nous autorise à mépriser les références, les représentations, les croyances, les aspirations, les désirs de l’autre, à moins de vouloir nier son droit à être Autre. Nous ne devons pas non plus oublier que ce qui peut nous sembler tout naturel, très facile à réaliser, peut devenir un vrai casse tête pour celui dont l’organisation mentale est différente.

Selon la théorie de la réactance psychologique (Brehm, 1981), une personne dont la liberté personnelle est réduite ou menacée aspire à retrouver une certaine marge de manœuvre. Face à ce qu’il ressent comme une négation de son individualité, comme une privation de son autonomie, voire de sa liberté de penser ou d’agir comme bon lui semble, le sujet réagit en résistant aux propositions du soignant qui devient une sorte d’adversaire. Il y a confrontation. La confrontation va faire exprimer au patient l’autre côté de la médaille. Le patient répond aux arguments du soignant par des contre-arguments. Il n’y adhère pas forcement pleinement mais il tente ainsi d’exister par lui-même. Or une personne vient à croire ce qu’elle dit, en s’écoutant parler l’individu apprend ce qu’il croit (Bem, 1967). Petit à petit le patient risque d’être convaincu par les contre-arguments développés face à ce qu’il perçoit, plus ou moins consciemment, comme une agression du soignant. Ce faisant, il renforce sa résistance.

Personne ne sort jamais complètement gagnant d’un tel affrontement. Chaque partie y perd toujours quelque chose. Ici le patient s’enracine dans son problème, le soignant se décourage. Celui-ci accuse celui-là d’avoir une attitude d’échec, trop de bénéfices secondaires, une complaisance morbide voir une attitude masochiste, un manque de volonté voir de courage. Bref la victime est sacrifiée sur l’hôtel de la légitimité et du savoir académique du soignant.

En aucun cas nous ne pouvons prétendre savoir ce qui est bon pour la personne qui vient nous consulter. Je me souviens avoir un jour entendu un chirurgien esthétique expliquer que quand un patient arrive pour la première fois dans son cabinet il se garde de lui dire « vous, je sais pourquoi vous venez », même si la personne en question a une anomalie esthétique qui lui semble manifeste. La demande de plastie ne concerne pas forcément ce qu’il y a de plus visible pour l’autre. Le sujet s’est souvent adapté efficacement au fait le plus marquant. Cela nous semble du parfait bon sens car la totale subjectivité de l’esthétique semble une évidence. A l’instar de ce collègue, gardons nous de savoir ce que la personne addicte doit changer, comment et vers quel objectif elle doit le faire ! Car là aussi la part de subjectivité est grande. Soit, il y a des faits avérés, prouvés scientifiquement ou observables au quotidien. Soit, dans l’absolu il n’y a pas un usage de drogue qui ne soit pas un danger pour son usager et parfois ceux qui le côtoient. Cependant que savons-nous des conséquences d’un changement pour le sujet ? Pouvons-nous être sûrs qu’il sera à même de tenir et supporter cette transformation sans conséquences graves ? Combien de patients se suicident ou meurent d’une over dose au sortir d’un sevrage ? Combien d’héroïnomanes substitués sont devenus alcoolodépendants ? Combien d’anciens alcooliques s’isolent socialement pour ne pas replonger ? Combien de conjoints de personnes addictes décident, paradoxalement, de se séparer après le début du processus de changement ? Combien de personnes finissent convaincues de leur incurabilité à force de démarches de soins inopérantes ?

L’intervenant est détenteur d’un ensemble de savoirs théoriques et généraux qui vont évoluer au fur et à mesure de son expérience, de nouvelles découvertes techniques ou scientifiques, d’évolution conceptuelles ou des mentalités. Il doit donc gardé à l’esprit le caractère très relatif de ses connaissances et de ses compétences. Il ne doit pas oublier non plus que les concepts sur lesquels il appuie son travail ne sont que des concepts : abstraits, réducteurs, approximatifs.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’approche motivationnelle se décentre du savoir de l’intervenant au profit du patient. L’intervenant est réellement un outil au service du sujet.
Cela suppose une attitude particulière de sa part. Il n’enseigne plus mais se limite à fournir l’information que lui demande son interlocuteur en soulignant bien le caractère discutable de toute information. Il ne décide plus mais donne des conseils et propose divers choix uniquement si on le lui demande. Tant que son interlocuteur ne lui demande pas explicitement ces informations et ces conseils, il se contente d’écouter, de refléter et de résumer les propos de l’autre dans le but de mettre en évidence et d’aider à résoudre les ambivalences du sujet qui font obstacle à sa liberté de choix. Ainsi le médecin, par exemple, ne prescrit plus des ordonnances à des patients mais propose des possibilités de traitements en réponse à la demande de ses clients !

Voici ce que deviennent alors les postulats vus précédemment :

- La personne aidée formulera elle-même son problème, tel qu’elle le conçoit, et tel qu’elle souhaite le nommer,

- Seul le client a la capacité de faire les bons choix pour lui-même,

- La personne aidante ne sait pas ce qui est bon pour son client,

- La résistance est en partie provoquée par la personne aidante,

- Donc la personne aidante doit faire confiance en la capacité de décision de son client, ne doit précipiter aucune décision, ne doit pas tenter de convaincre.

Conclusion

C’est donc à une révolution des pratiques et des mentalités auxquelles sont invités les soignants. Leur compréhension des notions de volonté et de motivation est une clé fondamentale pour l’efficacité de leur intervention auprès des usagers. Il découle de ces notions une démarche novatrice qui s’accompagne d’une remise en question radicale du rôle et de l’attitude du soignant face à son patient … client.